Mémoires électriques

Les origines du rock en France
et en Corrèze

Concert du groupe « Hippocampe » en avril 1974 au Golf Drouot. Fonds Jean-Michel Lachaud.

Mon père a connu, et j'ai connu aussi, des gens comme Jack Erhard qui a été, à mon sens, le premier orchestre à mettre en évidence sur l'affiche quelqu'un qui jouait de la guitare électrique. Et si tu veux c'était le symbole de modernité.

Marc Antoine Millon

Le contexte historique

Dès la fin de la guerre, le taux de natalité connaît dans le monde un essor qui se poursuit jusqu’en 1975, c’est le baby-boom. Une nouvelle génération voit le jour. En parallèle de la reprise économique d’après-guerre, c’est la promesse de lendemains qui chantent avec le plein-emploi et une société qui accède progressivement aux loisirs.

Malgré le contexte mondial tendu de la guerre froide, les enfants de la Libération aspirent à plus de libertés, ils entendent vivre leurs vies loin des peurs de leurs parents.

À cette époque en France et en Corrèze, le bal populaire, ou bal musette, est tout à la fois une pratique récréative et de sociabilité car il permet de faire des rencontres. De nombreux orchestres sillonnent les territoires pour faire « guincher » dans les dancings, avec accordéon, batterie, cuivres et guitares acoustiques.

À l’aube des années 1960, Outre-Manche, de jeunes gens se prénommant Paul McCartney et John Lennon ou bien Mick Jagger et Keith Richard sont l’illustration de ce mouvement. Souvent influencés par un environnement familial propice à la musique, ils ont les oreilles tournées vers l’autre côté de l’Atlantique. Fascinés par le rythm and blues et l’émergence du rock’n’roll aux États-Unis, en écoutant les disques de Bo Didley, Fats Domino ou bien Little Richards, ils s’approprient à leur façon ces rythmes et sonorités.

L’amplification d’un phénomène musical nouveau

Un nouveau phénomène voit le jour : l’apparition de stars mondiales. Les chansons sont diffusées à la radio, les disques distribués de plus en plus largement. Alors naissent les idoles : Elvis Presley aux États-Unis, les Beatles et les Rolling Stones en Angleterre. Les Shadows les avaient précédés dès le début des années 1950 en intégrant des guitares électriques soutenues par des systèmes d’amplification. Le son recherché à l’époque, dit clair ou « clean », est éloigné des sonorités distordues qui apparaissent dans les années 1960. En France aussi, les jeunes s’emparent de cette nouvelle musique. Là où l’accordéon était jusqu’alors roi, les instruments électroamplifiés et le rock commencent à s’imposer de manière durable dans une société marquée par les mutations des Trente Glorieuses.

L’industrie musicale mondiale se structure, des firmes comme Vox, Fender, Marshall, devenues depuis légendaires, prennent une nouvelle ampleur. Chacun souhaite atteindre un volume sonore plus important, ce qui entraîne une course à l’équipement. Toutefois, le matériel coûte cher, il faut donc trouver des solutions alternatives : bricolages et inventions sont de mise.

L’apparition progressive du rock dans les orchestres de bal

«Un des grands groupes de l’époque c’était Eric Erdé. Son père avait un orchestre où il jouait de l’accordéon. Son fils a commencé à chanter. Le batteur c’était Jean-Marc Lajudie. Je crois que visiblement il se faisait un peu chier chez papa dans « l’orchestre René Deloutre ». Donc ils ont fait une dissociation et ils ont monté l’orchestre de bal qui s’appelait Eric Erdé. Sauf qu’ils ont commencé à mettre de l’orgue Hammond, Jean-Marc jouait sur une batterie avec des cymbales partout, des doubles toms… Quand tu vois les batteries que tu avais à l’époque c’était une révolution. Section de cuivres et ils enquillaient tout ce qu’on entendait à la radio à l’époque tu pouvais le voir jouer dans les baluches. Il y a eu ici ensuite une dissociation entre ça et le « bal trad » ». Marc Antoine Millon

En Corrèze, des pionniers s’emparent très vite de ces nouveaux instruments électrifiés. Jack Erhard intègre dès 1959 une guitare électrique au sein de son orchestre de bal.

Jack ErhardAffiche de promotion de l’orchestre Jack Erhard
Arch. dép. de la Corrèze, Collection Des Lendemains qui Chantent, 97NUM. Fonds Des Lendemains Qui Chantent

Grâce à certains de ces orchestres, on peut entendre des reprises des « tubes » de la radio TSF. Ces musiques nouvelles se popularisent ainsi auprès des jeunes adultes qui fréquentent les bals.

Certains musiciens commencent à se spécialiser dans le rock’n’roll. D’abord en travaillant, le plus souvent « à l’oreille », les morceaux des vedettes du moment dans le but de les reproduire le plus fidèlement possible. Puis, peu à peu, nombre d’entre eux se tournent vers la composition. Par le biais de la création originale et de l’invention, le musicien amateur trouve un moyen de s’émanciper.

Jouer seul n’est pas satisfaisant, le rock’n’roll se pratique en groupe. Souvent issus des orchestres de bals, des musiciens commencent à travailler ensemble des compositions dans des locaux variés allant du local inexploité de l’entreprise familiale au pavillon de jardin en bois, de la cave humide prêtée par un ami à une grange à la campagne.

« Les répétitions, c’était en général lorsqu’un membre de l’orchestre avait de la place chez lui. » (Jean-Michel Lachaud)

Des lieux rock emblématiques : le Golf Drouot et le festival du Printemps de Bourges

Les débuts du rock en France sont liés à un lieu parisien devenu mythique : le Golf Drouot. Dans ce club, plusieurs centaines de groupes de rock s’affrontent entre 1962 et 1981 sur le « Tremplin » afin de remporter les faveurs du public à l’applaudimètre et devant un jury composé de professionnels du spectacle. Des artistes tels que Johnny Hallyday, Eddy Mitchell ou Magma y font leurs premiers pas. Des stars anglo-saxonnes comme The Who ou David Bowie y sont accueillies. Des groupes corréziens sont aussi sélectionnés : The Group’ Five ou encore Sylvie Flash Gang remportent le Tremplin respectivement en 1970 et en 1979.

Group' fiveConcert du groupe de Brive « The Group’Five » en 1970 au Golf Drouot.
Arch. dép. de la Corrèze, Collection Des Lendemains qui Chantent, 97NUM. Fonds Serge Pendaries.

Le festival du Printemps de Bourges créé en 1977 prend ensuite le relais et devient progressivement un tremplin emblématique au service de la découverte de nouveaux talents. Dominique A., Mano Negra, Les Têtes Raides mais aussi des Corréziens : Jean-Luc Roudière, Mandarine ou Visavis y font leurs armes.

portrait-013Diplôme du Golf Drouot obtenu par le groupe de Brive « Sylvie Flash Gang » en septembre 1979.
Arch. dép. de la Corrèze, Collection Des Lendemains qui Chantent, 97NUM. Fonds Michel Propilosky.